Entre terre et mer

Je vous propose cette photo de mangrove et ce texte, venant du blog de Frédéric Pie, auteur de « Libre. Ecrire sur les chemins du monde», actuellement en Afrique :

« Durant un long moment, dans la nuit de la capitale sénégalaise, seul au monde, je délaisse la construction des phrases et ferme les yeux. Je fais retraite au fond de moi et laisse monter les souvenirs, les sensations glanées durant ces quelques jours vécus dans le Sine Saloum, ce delta qui n’est autre qu’un labyrinthe de bras de mer, les fameux Bolongs, situé au sud-ouest du Sénégal.  (…) Nous passâmes plus de trois heures avec Ibrahim à explorer la mangrove dans ce delta du Sine Saloum. 

(…) La Mangrove est un écosystème de marais constitués d’eaux saumâtres, peu oxygénées, vaseuses et acides, que l’on ne trouve que dans les régions tropicales et subtropicales, bordant les côtes maritimes ou les estuaires de grands fleuves. Constituée quasi exclusivement de palétuviers de différentes espèces, seuls arbres à s’épanouir sur une terre si hostile, la mangrove abrite cependant une faune incroyablement variée qui fait d’elle l’une des plus grandes concentrations planétaires de biomasse. Si elles ne représentent que 1% de la surface occupée par les forêts tropicales, les mangroves sont les championnes du monde pour l’absorption de gaz carbonique puisqu’elle captent et retiennent 3 à 5 fois plus de CO2 que la forêt tropicale. Ces chiffres, à eux-seuls, suffiraient à justifier l’intérêt de préserver ce moteur écologique, voire de replanter massivement ce type d’environnement naturel, si essentiel à notre avenir, alors qu’une étude de 2018 révélait que la mangrove avait perdu 35% de son territoire, au niveau mondial, depuis l’an 2000. 

Si l’exploitation de la mangrove par les populations autochtones est régulée depuis une cinquantaine d’année au Sénégal (suite à des siècles de déforestation massive pour utiliser le bois de palétuvier comme combustible ou matériaux de construction – imputrescible et résistant aux insectes – ou à cause des excès de l’exploitation ostréicole, les huîtres poussant sur les racines de palétuviers constituant un met de choix pour les populations locales.), l’avenir de cet écosystème est inquiétant car il continue de régresser, en dépit des discours officiels et des vagues programmes de reforestation. Désormais, c’est l’urbanisation des côtes maritimes et l’aquaculture de la crevette, dont la demande explose au niveau mondial, qui sont les deux principales causes de la destruction de cet écosystème pourtant si crucial…

Comme dans tant d’autres domaines, les chiffres sont effrayants, concordants et nous obligent à nous interroger sur la volonté réelle des hommes, dans leur dimension collective, à vouloir préserver cette planète dont ils dépendent cruellement ! La terre se retournera-t-elle contre ces enfants gâtés qui l’occupent en l’éreintant, comme une mère adoptive qui répudierait les garnements dont elle avait accepté la garde mais qui se révèlent d’indécrottables vandales ? Et si la planète, jusque-là accueillante et généreuse commençait à perdre patience face à la prédation des hommes, leur voracité et leur inconséquence ? (…) On s’est aperçu récemment que la mangrove, véritable puits de captation de CO2 peut réduire ses capacités d’absorption si elle descend en dessous d’un point d’équilibre, voire de se transformer en source d’émission de carbone. Une étude parue en 2018 a indiqué que la déforestation des mangroves entre 2000 et 2012 aurait été responsable de l’émission de 317 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions de la Pologne.

Lorsque j’interrogeai Ibrahim sur l’évolution de la mangrove depuis qu’il était enfant et sur l’attitude des nouvelles générations quant à la préservation de l’environnement dans ce coin du Sine Saloum, il réfléchit un long moment avant de me répondre. « Les choses ne sont pas simples. La mangrove est désormais protégée ici sur une grande partie du territoire. Notre génération a compris que notre avenir et celui de nos enfants dépendait d’elle. Ce n’était pas le cas de nos parents. Pour les jeunes, c’est compliqué. Ils sont sensibilisés à la préservation du milieu naturel et à la pollution à l’école mais continuent de jeter tout ce qui les encombre dans la nature. » (…) Je quittai Ibrahim en le remerciant chaudement pour ces quelques heures de reconnexion avec la nature sauvage, dont j’avais grand besoin après trop de jours passés dans la pollution de Dakar. Je lui appris cette citation attribuée à Chateaubriand qui résume bien ce que l’on constate malheureusement dans tant de domaines, un peu partout sur la planète :  « Les forêts précèdent les hommes et les déserts les suivent… »
 

Conclusion pessimiste que j’aimerais moduler par un principe simple: l’humain est capable de changer son destin, pour autant qu’il le décide, et qu’il se décide. Alors… Je veux rester optimiste, car a-t-on un autre choix?

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