Un monde toujours humide, souvent froid, parfois violent : la mer, loin de la plage, peut paraître difficile à aimer. «Un authentique amour de la mer est une des choses les plus rares du monde, écrivait même le critique littéraire américain Edmund Wilson. C’est un goût spécial et bizarre que très peu de gens acquièrent ». D’autant qu’il ajoutait : « La mer n’est même pas pittoresque, elle est trop vide pour ça ». Même Eric Tabarly a rappelé que l’océan n’est peut-être pas pour tout le monde :
« … à l’intérieur, les voiles trempées répandent l’eau partout, et partout c’est le foutoir… (…) Toute la nuit, je me couche, me déshabille, me relève, me rhabille, monte sur le pont pour modifier mes réglages à cause des sautes d’humeur du vent. Aux doux rêveurs qui s’imaginent trouver la liberté sur la mer, je leur suggère de chercher ailleurs. »
Mais les vrais amours sont discrets. Les grands marins, souvent taiseux, se contentent de donner leur point de vue sans emphase. « Ce n’est pas que la vie à terre me déplaise, écrivait par exemple le grand Francis Drake, mais la vie en mer est meilleure.» Peut-être pensait-il, comme Joseph Conrad, que « la monotonie de la vie en mer est plus aisée à supporter que l’ennui de la vie à terre. » Ou que, comme le dit l’un de ses personnages, marin retrouvant son navire : « Soudain, j’éprouvai à nouveau ce bonheur que donne la grande sécurité de la mer comparée aux agitations de la terre ; je me félicitai du choix que j’avais fait de cette existence dénuée de tentations, exempte de problèmes troublants, et à laquelle l’absolue franchise de ses exigences et la simplicité de son but confèrent une fondamentale beauté morale. » Tout est peut-être dit.
Christophe Agnus
Photo Olivier Dugornay – IFREMER