L’image est triste, mais se veut symbolique. Sur la mer d’Aral, où a été prise la photo, l’eau a disparu, détournée à l’époque soviétique au profit de l’irrigation des rizières et des champs de coton de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan, laissant les bateaux à sec et forçant les pêcheurs à se reconvertir. En 2023, sans l’excuse de la catastrophe écologique ayant fait disparaître la mer, ce sont des armateurs qui ont abandonné navires et équipages. 132 des premiers, pour 1676 marins. Les bateaux restent au port, amarrés au large, ou même échoués. Les marins sont laissés à leur sort, sans argent pour rentrer chez eux ou même survivre, sans visa, parfois même sans passeport. Beaucoup ne peuvent même plus quitter le bord, dépendant pour se nourrir de la solidarité des habitants ou des autres équipages. Et encore. L’ITF, la fédération internationale des ouvriers du transport ne peut comptabiliser que les cas dont elle a connaissance. Certains pays sont suffisamment opaques pour qu’on ne puisse connaître la situation réelle des hommes et femmes qui naviguent sur leur flotte. On pense ainsi aux bateaux de pêche industrielle chinois, où des violations brutales de tous les droits humains (jusqu’à celui de survivre…) ont été constatées. Un nouvel esclavage des temps modernes. Car comment s’échapper d’un navire en pleine mer ? Comment revenir chez soi sans passeport ni argent dans un monde où la complexité administrative des États n’est dépassée que par le culte de la cupidité ? Au moins les pêcheurs de la mer d’Aral pouvaient-ils débarquer sans risque, leur bateau étant à sec. Une maigre consolation pour des marins que les deux fléaux déjà mentionnés avaient privés de leur mer.
Christophe Agnus
Photo THORSTEN