Maladroits et veules?

Même le capitaine Némo n’était pas là pour voir les concurrents de l’Arkéa Ultim Challenge dépasser le point qui porte son nom, ce fameux « pôle maritime d’inaccessibilité », l’endroit du monde le plus éloigné des terres. Pas le moindre rocher émergeant à moins de 2 688 km. Le vrai isolement. Pour communiquer, les skippers envoient des vidéos, mais on note leur difficulté à fournir des photos spectaculaires. Comme si leurs voiliers étaient trop grands, leurs navigations trop difficiles, se déplacer en mer sur cette gigantesque plateforme volante aux mouvements violents et imprévisibles beaucoup trop dangereux pour obtenir un angle original. Il faut un œil extérieur pour traduire leur gigantisme. Mais si Charles Caudrelier a eu la chance de croiser un navire de pêche français dans le sud de l’océan Indien (photo), il n’y avait personne aux alentours du point Nemo pour le photographier à nouveau…
Alors il reste les mots. Comme Moitessier il y a 55 ans, les marins de 2024 font confiance à la langue française pour se raconter. Et certains sont doués. « Quand vous passez le cap de Bonne-Espérance, dit par exemple Thomas Coville, vous entrez dans le monde des albatros. C’est leur monde, pas le nôtre, comme si vous entriez dans un endroit sanctuarisé ». Pour évoquer cet océan Pacifique qui mérite si peu son nom, il parle d’un « océan papier de verre » qui « mine le moral et effrite le physique ». Et quand, après une épuisante réparation de ses foils, il décrit l’importance de cette intervention, il raconte que « sans foils, on est des albatros sur le pont d’un bateau, maladroits et veules ». Maladroits et veules ? On ne l’a jamais pensé.

Christophe Agnus

Photo Niels Gins / TAAF
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