Peut-être faudra-t-il un jour poursuivre les inventeurs du téléphone portable en justice ? À cause d’eux, les gens passent plus de temps à regarder cet instrument qu’à se parler. À cause d’eux, le respect s’amenuise, beaucoup se désintéressant de tout et de tous à la moindre sonnerie ou alerte de ce petit boîtier qui, pour reprendre la phrase de Sacha Guitry, « vous sonne comme un domestique »… Et, à cause d’eux, 1000 tonnes de fioul ont envahi une zone fragile du récif coralien de l’île Maurice. C’était le 25 juillet 2020. Le vraquier Wakashio, appartenant à un armateur japonais, et contenant 3 800 tonnes de fioul, s’est approché si près de la côte qu’il a fini par s’échouer. À cause des conditions de mer, un remorqueur n’a pu intervenir que cinq jours plus tard. Les cuves avaient commencé à fuir dans le lagon, la structure était trop abîmée. Une opération est alors lancée pour transférer ce qu’il reste du fioul dans un navire de secours. Le 16 août, le Wakashio se brise en deux.
Le lien avec le téléphone portable ? L’enquête vient de démontrer que c’était pour obtenir du réseau que le vraquier s’était approché si près de la côte, les marins voulant pouvoir communiquer avec leurs familles. Ils avaient de bonnes raisons : en pleine crise du Covid, certains étaient à bord depuis des mois, en dépassant parfois largement la durée de leur contrat. Mais le commandant, lui, a pris le risque de frôler le récif sans carte précise de la zone, et sans essayer de s’en procurer. Au jugé. Et au moment où la coque a été arrêtée par les fonds, lui et son second étaient bien de quart à la passerelle, mais pas très attentifs aux alentours : ils étaient plongés dans leur téléphone portable…
Christophe Agnus
Photo International Maritime Organization (IMO)