La tempête n’est pas qu’un spectacle unique, fascinant, hypnotisant. Quand la puissance terrible et fantastique des éléments se déchaine, il ne reste que le combat pour ceux qui doivent la subir. De tous les auteurs, Joseph Conrad, à la fois écrivain et grand marin, est peut-être celui qui a le mieux raconté cette lutte : « Tandis qu’on pompait, le bateau nous lâchait pièce par pièce ; les pavois s’en allèrent, les épontilles furent arrachées, les manches à air écrasées, la porte de la cabine fut enfoncée. Il n’y avait pas un seul coin de sec sur le bateau. Il se démantelait morceau par morceau. La chaloupe fut réduite en miettes, comme par magie, sans être arrachée de ses saisines (…). Et on pompait toujours. Pas de changement de temps. La mer était blanche comme une nappe d’écume, comme un chaudron de lait en ébullition. Pas une échancrure dans les nuages, pas une seule _même de la taille de la main_ ne fût-ce que pendant dix secondes. Il n’y avait pas de ciel pour nous, il n’y avait pas d’étoiles pour nous, ni soleil ni univers_ rien que des nuages rageurs et une mer en furie (…). Les voiles explosèrent et le navire se tenait de travers au vent et à la lame sous un cagnard de toile, l’océan se déversait sur lui, et on s’en fichait. Nous tournions ces manivelles de pompes, l’œil hébété (…) nous tournions sans cesse, avec de l’eau jusqu’à la taille, jusqu’au cou, jusque par-dessus la tête. Cela n’y changeait rien. On avait oublié l’impression que ça faisait d’être sec. »
Alors c’est beau, la tempête. Sauf quand elle vous frappe en direct, et qu’elle vous rappelle avec violence que la nature restera toujours la plus forte.
Christophe Agnus
(photo de l’auteur)