La pointe Saint-Mathieu, au bout de la Bretagne. Plus à l’ouest du phare, du sémaphore, de la chapelle et de ce qu’il reste de l’abbaye, il y a Molène et Ouessant. Puis New York. Le rayon de soleil fait le pont entre les Terriens et les Îliens.
Mais je voulais aussi vous raconter une histoire, découverte il y a peu alors qu’elle dure depuis longtemps. C’est celle des marins du pétrolier MT Iba, sous pavillon panaméen, échoué au large de la côte d’Umm Al Quwain, aux Émirats Arabes Unis. Le propriétaire, une société elmirati, a fait faillite depuis un moment et le bateau attend un nouveau propriétaire. Qui n’arrive pas. Banale situation d’entreprise, me direz-vous? Pas tout à fait. Les cinq marins du bord, de trois nationalités différentes (indienne, pakistanaise et birmane) n’ont pas été payés depuis 43 mois. Un drame pour eux, mais aussi pour leurs familles: « Je ne peux pas envoyer d’argent à ma famille, mes enfants ne peuvent pas étudier, ils ne peuvent pas manger, ils doivent emprunter de l’argent » explique l’un d’entre eux dans un article de Ouest-France. Et ils sont bloqués à bord du bateau qui, doucement mais sûrement, commence à ressembler à une épave. Depuis des mois, leur nourriture est fournie par la gentillesse des habitants de Umm Al Quwain et à des missions humanitaires qui leur font passer de quoi survivre. Mais aussi de l’eau ou quelques produits indispensables.
Ils peuvent débarquer, me direz-vous. Rentrer chez eux. Pas vraiment. S’ils le font, s’ils quittent le bord, les lois maritimes internationales interdisant à l’équipage d’abandonner un navire échoué qui transporte une cargaison à risque, comme le pétrole, ils risquent la prison et de perdre tout droit sur les plus de 230 000 dollars d’arriérés de salaires… L’ingénieur en chef, birman, a un problème de plus: son passeport a expiré depuis qu’il a embarqué et il craint d’avoir du mal à le renouveler avec la crise politique qui secoue actuellement son pays.
Ces cinq hommes me font penser à la situation d’une partie des équipages pirates, au débit du XVIIIe siècle. Ils étaient souvent, à l’origine, des marins de navires parfaitement légaux, que des pirates avaient pris d’assaut. Leur choix alors été posé dans ces termes: soit ils rejoignaient la piraterie, soit… ils étaient tués ou abandonnés en pleine mer. Un choix limité. Une fois devenus pirates, ils savaient que leur sort était aussi réglé: s’ils étaient fait prisonniers par une marine officielle, c’était la pendaison. Leur choix était entre la mort violente tout de suite ou la mort violente plus tard. L’époque n’était pas à la douceur de vivre en mer…
Depuis, la vie en mer s’est améliorée. Mais, de temps à autre, la violence du monde remonte à la surface, comme pour les marins abandonnés du MB Iba, qui ne sont pas prêts de croiser devant la Pointe Saint-Mathieu.