On pense à une baleine, à une orque, à un être puissant de l’océan. On a en partie raison car les sous-marins sont les plus océaniques des navires que l’humain envoie en mer. Aucun, plus que lui, n’épouse mieux l’élément. Il n’y navigue pas, il s’y fond. Il y disparaît, s’y dissimule et peut parcourir des dizaines de milliers de kilomètres avec comme seuls témoins les animaux marins qui voient cette fusée sombre glisser dans les eaux sans lueur. Cette photo, extraite du livre « Carènes, acte 2 », d’Ewan Lebourdais, pourrait aussi faire croire que le mimétisme est le secret de la vie en mer. Qu’il suffit de s’adapter à ce milieu qui ne nous est pas naturel en le copiant pour y vivre bien, s’y sentir chez soi. Une illusion presque poétique. Car c’est oublier que, derrière la coque épaisse de ce monstre d’acier, les marins sont réduits, plus qu’ailleurs, à leur statut de simples humains. Deux ou trois cents mètres sous la surface, ils ne doivent leur survie qu’à l’inventivité des ingénieurs et le sérieux de leurs formations. Interdits d’émerger pendant la durée de leur mission, il leur faut extraire l’oxygène vital comme leur eau potable de l’océan salé, et veiller en permanence au bon fonctionnement d’un nombre incroyable de pompes, moteurs, valves, capteurs et autres équipements techniques ou informatiques. Alors, et seulement alors, ils peuvent vivre une expérience que la société moderne interdit à la plupart d’entre nous : être coupés du reste du monde. N’avoir comme seuls bruits extérieurs que ceux provoqués par la vie maritime qui ne connait pas le silence mais méprise nos conflits. Et se dire qu’il y a une forme d’ironie à devoir se retrouver enfermé dans une machine de guerre pour connaître la paix…
Christophe Agnus
Photo Ewan Lebourdais, Peintre officiel de la Marine, ewan-photo.fr