Pêche en sud Islande

J’ai pris cette photo il y a dix-sept ans maintenant. Et on ne peut plus la prendre, heureusement. Nous étions quelque part entre l’Islande et le Nord de l’Ecosse, en mars. Quelques jours plus tôt, un coup de vent de force 10 nous avait bien secoués. J’étais à bord pour un reportage pour le magazine Géo (également publié dans le Nautilus n°1). Ce chalut qui remonte vient de loin. Presque 2 000 mètres de fond. Il remonte des espèces magnifiques : grenadiers, empereurs, sabres… Une pêche de grands fonds que l’on a finit par stopper pour une raison évidente de préservation de la ressource : personne n’avait d’informations précises sur la reproduction de ces espèces, leurs cycles de vie. Donc les fonds étaient pillés sans aucune certitude qu’ils puissent se repeupler un jour. Ou avant très, très longtemps. 

Mais ce message n’est pas pour parler de la pêche de grands fonds, ni même des dégâts de la pêche industrielle (le bateau faisait 59 mètres, donc loin des critères de la pêche artisanale). J’ai envie de vous parler des hommes. 

Regardez l’image : il fait nuit, la mer est forte, le pont est trempé et glissant, il fait froid, les marins manient un chalut glacé avec la seule protection de leurs gants. Il y a seulement une dizaine ou une quinzaine de minutes, ils dormaient encore. A moitié habillés pour pouvoir réagir vite au signal du capitaine indiquant le retour du chalut. C’est donc à peine réveillés qu’ils sont plongés dans un univers assez hostile. Le temps que le chalut remonte, ils vont rester en alerte pour guider l’ensemble correctement. Puis, le poisson va se déverser dans les cales. Les hommes abandonneront alors le pont pour un autre travail : des heures durant, ils vont trier, nettoyer, ranger les poissons à la main. Tout doit être mis en glace rapidement. Puis ils essaieront d’attraper un peu de repos avant un nouveau signal du patron les appelant sur le pont. 

Un cycle infernal qui va durer dix jours, à raison de parfois dix-huit heures de travail par jour. Puis ce sera le retour à la maison. Avant de recommencer une nouvelle marée, dans dix autres jours. 

Détail qui compte : ces hommes, tous ceux avec lesquels j’ai parlé, aimaient leur métier. OK, c’était dur. Très dur. Mais ils soulignaient tous leur sentiment de liberté. Pour rien au monde ils ne voulaient travailler à l’usine. La mer, l’entraide de l’équipage, cette vie décalée, tout cela leur plaisait. Aujourd’hui, quand je discute avec des pêcheurs artisans, j’entends les mêmes mots : « C’est dur, mais c’est un beau métier. On est libre ». Malgré l’effort, malgré les conditions difficiles, malgré la charge de travail et les horaires impossibles, j’ai eu le sentiment de rencontrer en mer plus de gens heureux que dans de confortables bureaux parisiens…

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