Pour comprendre le monde, les cartes géographiques sont d’un précieux secours. Mais elles créent, cependant, une mauvaise habitude : celle de chercher les frontières, les limites, les bornes. Tout le monde construit par les humains tient dans ces mots, qui ne sont d’aucune utilité quand il s’agit de la mer. Allez trouver, au large, les repères permettant de délimiter telle ou telle zone. Les animaux marins n’ont pas de passeport. Les baleines, les grands requins, les orques, parcourent des milliers de kilomètres tous les ans, en étant simplement à l’écoute de guides plus précis, vivants : les flux naturels, les lignes magnétiques de la planète, les courants… Comme s’il y avait un dialogue permanent entre eux et la planète. À nous, peut-être, de les copier, en ne nous contentant pas de nos cartes muettes. Et en écoutant cet océan unique qui unit toutes les terres de la Terre. Michelet, le grand géographe, avait déjà, en 1875, compris tout cela. Lui qui écrivait : “C’est par la mer qu’il convient de commencer toute géographie. […] Grande, très grande différence entre les deux éléments : la terre est muette, et l’Océan parle. L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains. Il parle à la terre, au rivage, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s’adresse à l’homme surtout. Comme il est le creuset fécond où la création commença et continue dans sa puissance, il en a la vivante éloquence ; c’est la vie qui parle à la vie. Les êtres qui, par millions, milliards, naissent de lui, ce sont ses paroles. La mer de lait dont ils sortent, avant même de s’organiser, blanche, écumante, elle parle. Tout cela ensemble, mêlé, c’est la grande voix de l’Océan”
Christophe Agnus
Photo Domaine Public