Pour les photographes, saisir l’image d’un voilier dans la tempête est complexe. Surtout au large. Il faut être en avion ou en hélicoptère. Et pas trop loin de la côte non plus. Quand la photo est prise à bord, il est souvent difficile de donner la mesure de la vague qui s’annonce, du vent qui hurle, des voiles qui claquent. Plus les conditions sont difficiles, plus l’exercice est complexe, comme ici lors de la Volvo Ocean Race 2001. Ce qui est vrai des photographes l’est aussi pour les écrivains. Quels seront les mots assez forts ? Comment aussi ne pas se tromper quand on n’a pas, soi-même, vécu des moments extrêmes ? Pour raconter un ouragan dans un roman, j’ai appelé Isabelle Autissier, la grande navigatrice, et Jean-Yves Bernot, expert météorologue. Et ce dernier m’a donné, outre des informations précises, un seul conseil : « relis Typhon, de Joseph Conrad ». Le grand écrivain de langue anglaise, né en Ukraine, ancien officier de marine marchande, y décrit une mer jetant sur le navire des lames d’un autre monde, comme pour régler son compte à ce visiteur dont elle ne veut pas : « Dans leur acharnement, on sentait de la haine, de la férocité dans leurs coups. On eût dit une créature vivante en proie à une foule enragée, victime offerte, brutalisée, bousculée, culbutée, roulée à terre et piétinée ». Des pages extraordinaires. Mais, à l’avant-dernière phrase du roman, une conclusion : « Il y a des choses, voyez-vous, qu’on ne trouve pas dans les livres ». Et ces tempêtes-là ce sont les marins qui les gardent dans leur mémoire et parfois même leur chair. En silence. Parce qu’elles sont impossibles à raconter. Quand les superlatifs ne suffisent pas, se taire est le meilleur choix.
Christophe Agnus
Photo Rick Tomlinson Electronic Image / Volvo AB