À bord, de loin

Dans les photos prises par les navigateurs de la Transat CIC, comme dans toutes les courses, il y a deux catégories. Les autoportraits en situation, d’un intérêt souvent limité. Et les photos de mer. Ce sont ces dernières que j’aime. Celles où l’océan se dévoile avec si peu de témoins. Celles où les éléments sont cléments, harmonieux ou en colère. Les vagues qui montent et menacent le franc-bord. La déferlante que l’on entend presque gronder. Alors, on peut, un instant, s’imaginer dans le cockpit, à observer, comme l’écrivait Roger Vercel, « cet horizon qui noircit d’un coup, se souligne d’une lueur blanche où le grain gicle, comme un jet d’eau sous une porte d’écluse. On brasse, on cargue, on remet dessus avec des mains plissées par les averses comme par des lessives. Nuit et jour, on ne décolle pas de la manœuvre (…). Ça à l’air d’une blague féroce et tenace de fou. On défait ce qu’on vient de faire, on refait ce qu’on a défait. On rhabille le bateau pour le déshabiller ». Citer ici l’auteur de Remorques et de La fosse aux vents n’est pas un hasard. Lui non plus n’était pas à bord. Vercel, l’un des plus grands écrivains maritimes, ne naviguait pas, ne larguait jamais les amarres : il écoutait simplement les marins raconter. Il les observait au café. Son talent narratif suffisait, ensuite, à faire croire qu’il écrivait d’expérience. C’est, plus modestement, ce que nous proposent ces photos de mer prises en course : pendant un instant, on a l’impression d’y être. D’avoir froid. D’être mouillé. Presque d’avoir un peu peur. Puis on repose la photo, la vie quotidienne reprend ses droits, en nous laissant le plaisir fugace d’avoir, pendant quelques secondes, pris le large.
Christophe Agnus

Photo Maxime SOREL (V&B – MONBANA – MAYENNE)

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