De l’encre et des ancres

Il y a des lieux plus propices que d’autres à la lecture. Le cockpit d’un bateau, au large, quand un barreur veille pour vous à la sécurité et que le bruit de l’eau glissant contre la coque émet une chanson douce, fait partie des élus. Et il y a tant de choix possibles, tant de livres qui valent la peine d’être ouverts : les plus grands écrivains ont pioché dans l’alphabet pour traduire les émotions ressenties face à la mer. En 2003, l’ancien marin et ministre Jean-François Deniau eu la belle idée de créer, en partenariat avec la Marine Nationale, l’association des « Ecrivains de Marine ». Vingt auteurs francophones s’engageant notamment à « favoriser la propagation et la préservation de la culture et de l’héritage de la mer ». Quand les cap-horniers ont le privilège de porter un anneau d’or à une oreille, les écrivains de Marine accompagnent leur signature d’une petite ancre. L’encre et l’ancre, rien de plus normal pour conter l’océan, les bateaux et les Hommes.  

Dans quelques jours, à Concarneau, le salon du livre de mer célèbrera ceux qui ont besoin d’eau salée pour y plonger leur plume. Des hommes et des femmes pour qui l’horizon recule toujours et qui cherchent quand même à l’atteindre, avec des mots, et quelque soit l’état de la mer. Car quand celle-ci ne joue pas le jeu, quand elle s‘emporte, brinquebalant le marin au point d’empêcher l’écriture, et même la lecture, il reste toujours le rêve. Avec la musique des éléments : « La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit » a écrit Marcel Proust, un autre écrivain fasciné par « cette grande pureté de la mer que n’ont pas les choses terrestres ».

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Photo Jola

La petite transat majuscule

C’est peut-être la course au large qui me fait le plus rêver. La plus grande des Transats. Sur le plus petit des voiliers : 6,50 mètres maximum. Une taille d’engin de plage pour affronter l’océan (en deux étapes), et donner à des géants la possiblité de se faire remarquer. Vous voulez des noms ? Loïck et Bruno Peyron, Jean-Luc Van Den Heede, Laurent Bourgnon, Isabelle Autissier, Michel Desjoyeaux, Ellen MacArthur, Roland Jourdain, Lionel Péan, Thomas Coville, Yannick Bestaven… Ils ont tous disputé la « Mini Transat ». Et parfois gagné.
Une course qui est aussi un laboratoire incroyable pour les architectes. En 1985, Yves Parlier s’alignait avec un mât en carbone. Six ans plus tard, c’est Michel Desjoyaux qui équipait son bateau d’un mât-aile et une quille pivotante. En 2011, David Raison se présente avec un proto inspiré des « scows » navigant sur les grands lacs américains : une étrave plate et spatulée (comme sur la photo, sur le « 979 » de Hugo Dhalenne). Une révolution qui lui permet non seulement de gagner, mais aussi de naviguer dans un meilleur confort, plus au sec. Puis il y aura les foils. Et les scows à foils…

C’est pourtant l’arrivée de l’épreuve de 1987 dont je garde un souvenir fort. Le premier à franchir la ligne de la deuxième étape (devant le proto du vainqueur final de la course, Gilles Chiori) était sur un voilier de série. Un Coco. Mais il avait osé ce à quoi personne n’avait même songé : alléger le bateau au maximum. L’intérieur était vide. Pas de couchette : il dormait sur les voiles de rechanges. Pas de cuisine : il mangeait des rations de survie. Il n’avait gardé d’un short et un tee-shirt et jeté le reste de ses vêtements par-dessus-bord. Et l’inconnu de 20 ans avait gagné la manche. Son nom : Laurent Bourgnon. Il deviendra une légende, remportant notamment la solitaire du Figaro et deux Route du Rhum, quatre fois champion du monde des skippers de course au large.

C’est peut-être cela, le plus grand cadeau de la Mini-Transat. Plus que des coureurs au large, elle fait naitre des marins. Des grands marins, sur des petits bateaux.

Photo Mini-Transat Eurochef 2021-Alexis Courcoux

Pour le plaisir de la plaisance

Si cette tourelle du Blavet pouvait parler, elle nous raconterait une bonne partie de l’histoire de la voile moderne. Elle évoquerait les voiliers de travail de la fin du 19ème siècle, l’apparition d’une plaisance élitiste au même moment puis l’arrivée du grand public après la seconde guerre mondiale et surtout à partir des années 60. Elle décrirait sa surprise à voir apparaître des multicoques, des mâts-aile et maintenant des foilers. Elle serait si bavarde… Mais elle ajouterait qu’il ne faut pas se limiter aux grandes courses au large, comme le Vendée Globe ou la Transat Jacques Vabre. Que la vraie force de la voile, ce sont les milliers de régates organisées en permanence un peu partout en France, en mer ou sur des plans d’eau intérieurs. Des compétitions mobilisant des milliers de bénévoles et encore plus d’amoureux de la navigation qui embarquent pour gagner parfois, pour le bonheur d’être en mer toujours.

Cette photo a été prise pendant le Morbihan Challenge, à la fin août. Cette épreuve propose, tous les ans, un parcours garanti sans moteur, avec des équipages mixtes, avec un beau principe de fair-play absolu (pas de règles de course…). Un retour salutaire à l’étymologie du mot « plaisance », trop souvent mis à mal par la définition anglaise du même mot : « prendre une douche froide tout habillé en déchirant des billets de banque… »  Les Français, croyants ou pas mais peut-être plus jouisseurs que les Britanniques et bénéficiant d’une meilleure météo, préfèrent souvent s’en tenir à ce que Bernard Moitessier écrivait : « Dieu a créé la mer et il l’a peinte en bleu pour qu’on soit bien dessus ».

+ https://www.morbihanchallenge.com/le-film

Photo Philippe Bussière

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