La chimère et le président

La mer est bonne fille.
Quand l’homme détruit les stocks de morues en mer du Nord, elle les recompose en une décennie.
Quand un pétrolier s’échoue sur ses côtes, elle nettoie les plages et les fonds avec ses vagues et ses bactéries.

Mais elle en a assez, la mer.

Elle est fatiguée de voir les humains s’intéresser à elle surtout pour l’exploiter. On lui prend déjà plus de poissons qu’elle peut en produire. Des forages viennent détruire ses fonds et salir ses eaux pour du pétrole ou du gaz.
Alors quand le plan d’investissement France 2030 parle d’investir « le champ des fonds marins, si riches de biodiversité à protéger », la mer pense: «enfin ! » Quand le président ajoute qu’il « ne parle pas d’exploitation, mais d’exploration », les océans sont en totale empathie.
Sauf que… le discours ne s’arrête pas là.
Deux phrases plus loin, il est question « d’accès à certains métaux rares »… Ceux, sans doute, qui pourraient tant servir pour fabriquer des smartphones. Et là, la mer ne sait plus si elle doit sourire ou pas. Si elle doit être heureuse d’être enfin explorée, étudiée, avec l’espoir d’être protégée, ou s’inquiéter que l’on cherche encore quelque chose d’autres à extraire industriellement de ses entrailles.

Elle pense à cet animal bizarre que l’on trouve à grande profondeur. Un poisson cartilagineux aux dents soudées en plaques qui résume, par son nom, cette volonté de protéger et d’exploiter « en même temps », symbolisée par le discours présidentiel : une chimère (photo). Un mot qui, pour le Larousse, signifie aussi « projet séduisant, mais irréalisable ; idée vaine qui n’est que le produit de l’imagination ; illusion ».


Photo NOAA Ocean Explorer: NOAA Ship Okeanos Explorer: INDEX 2010 “I

La vraie nouvelle frontière

En 1979, des scientifiques américains sont à bord de l’Alvin, un sous-marin de poche appartenant à l’US Navy mais opéré par un grand laboratoire de recherche océanographique, le Woods Hole Oceanographic Institute. Ils plongent 2,5 kilomètres sous la surface de l’océan Atlantique pour étudier des structures minérales ressemblant à des termitières et d’où s’écoulent des fluides chargés en minéraux, souffre et gaz divers, découvertes deux ans auparavant. Arrivés au fond, l’un des scientifiques interroge la surface  : 

– « Si je ne me trompe pas, normalement dans un tel environnement, la vie est impossible ? » 

– « Oui, c’est impossible… »  

-«  Eh bien, il y a plein de vie ici… »

C’était le début d’une formidable aventure scientifique autour de ces « fumeurs noirs » abritant une vie sous-marine très riche comme sur cette photo prise par 2300 mètres de fond. Plus de 400 espèces de vertébrés et d’invertébrés ont été recensées dans ce milieu où on croyait toute vie impossible. Une découverte majeure.

Et ce n’est pas fini car nous connaissons très peu (et mal) les océans. Pour comprendre la difficulté à laquelle font face les scientifiques, imaginez l’océan comme une forêt couvrant 70,8% de la planète avec des arbres culminant, en moyenne, à 3 682 mètres, de la vie sur toutes les branches, et que l’on explore avec une simple loupe : des millions d’espèces -entre 1 et 10 millions d’après les chercheurs… – sont encore inconnues. 

Malheureusement, l’océan, où est née la vie sur Terre, dont nous dépendons pour notre oxygène et notre nourriture, qui absorbe 30% du CO2 émis par l’activité humaine, ne profite pas, et dans aucun pays, des mêmes moyens d’exploration et de recherche que l’espace… Ni de la même fascination des milliardaires qui dépensent des fortunes pour s’offrir le grand frisson spatial. Des moyens et de l’intelligence que l’on aimerait voir utiliser pour étudier le changement climatique et, bien sûr, les océans. Car c’est bien là, et pas sur Mars, qu’est notre avenir. «Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée », disait Richelieu. Quatre siècles après le Cardinal, rien n’a vraiment changé.

Photo Ifremer

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Retour vers le futur

Comment emporte-t-on en réparation un navire de guerre en train de couler ? Réponse : avec un autre bateau… L’image, inhabituelle, cache deux histoires distinctes. La première, c’est celle de la collision entre un navire de l’US Navy et un cargo libérien, au large de Singapour, en août 2017, dans laquelle dix militaires américains périrent. L’enquête montra que l’équipage du destroyer, qui commandait son bâtiment via des écrans tactiles – modernité oblige – avait perdu le contrôle suite à un problème informatique, dû à « un manque de supervision par la Navy, des procédures inadéquates et des défauts de formation ». La responsabilité du commandant sera écartée. Comme il a bien fallu réparer le navire, très endommagé, la « remorqueuse » est arrivée… Spectaculaire.

La seconde histoire est dans la leçon tirée par la marine américaine : ne plus faire confiance 100% à la technologie. Elle a décidé de rajouter des bonnes vieilles barres à roue sur tous ses navires, en plus des écrans et joysticks, et de remettre au goût du jour l’usage… du sextant. En cas de panne informatique majeure, ou de piratage des systèmes de navigation, a-t-elle estimé, les équipages actuels seraient bien en peine de savoir où ils sont précisément. Alors retour à cet outil, inventé vers 1730, qui permet de connaître sa latitude en mesurant la hauteur du soleil sur l’horizon à midi. En voile, aujourd’hui, seuls les marins de la Golden Globe Race, course autour du monde en solitaire remportée par Jean-Luc Van Den Heede en 2018, se positionnent au sextant. Une garantie : le hacker capable de pirater le soleil n’est pas encore né…
 

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