Mi-eau & mi-air, salut d’un seigneur

Dernière photo de la série mi-eau/mi-air, et un grand merci à Henri Eskenazi qui nous a envoyé toutes les très belles images de ces dernières semaines. Son site: www.henrieskenazi.com

Cette dernière photo, prise dans les eaux d’Afrique du Sud, est symbolique car elle permet d’apercevoir un grand requin blanc, ce magnifique seigneur des mers, comme une ombre furtive et (forcément) menaçante. Certains le voit aussi comme un saigneur des mers, alors qu’il n’en est qu’un prédateur, indispensable, et même pas le prédateur suprême (l’orque, par exemple, lui est bien supérieure). Ceux qui ont plongé sans cage avec ces superbes grands poissons peuvent témoigner qu’il n’est pas cette menace terrible décrite par les films de fiction comme par les vidéos où on les voit attaquer des cages avec une incroyable violence. Cherchez sur Internet les vidéos avec les mots clés « requin blanc plongeur », vous trouverez quantité de films avec des grands blancs nageant paisiblement à côté d’humains en scaphandre autonome. Pour vous convaincre, sachez déjà qu’il y a eu 57 personnes mordues par un requin en 2020 (morsures « non provoquées », c’est-à-dire hors séances de shark feeding pendant lesquelles des touristes tendent de la nourriture aux requins…) , et 10 décès. Dix morts en 2020. Je vous rappelle que l’on trouve des requins dans toutes les mers du monde, même en Méditerranée, même en rade de Brest… La même année, 550 personnes ont été tuées par des hippopotames, 500 000 ont été mordues par des chiens (avec presque 50 morts aux USA), et les vaches (oui, les vaches…) ont tué 22 personnes seulement aux Etats-Unis. Enfin, si 1035 personnes ont été tuées par des requins en un siècle, entre 1916 et 2016, les moustiques eux, seulement en 2016, sont responsables de 1470 décès… par jour. 

Le requin blanc n’est donc pas le tueur que beaucoup croient. C’est en revanche une merveille d’évolution. Les dents fossilisées les plus anciennes retrouvées datent de 16 millions d’années. Le grand blanc a eu le temps de s’adapter et de devenir une machine d’efficacité. Capable de nager des milliers de kilomètres et de se nourrir d’à peu près n’importe quoi, mais surtout de poissons de grande taille (thons, espadons, tarpons…), de tortues marines, de phoques et même de dauphins. Ses seuls prédateurs marins: l’orque et… des requins blancs plus grands. 
Mais il est aujourd’hui menacé avant tout par les hommes. Qui en veulent à sa chair, mais aussi à ses nageoires dorsales ou ses dents. La pollution et la raréfaction de ses proies favorites l’affectent aussi. 

Alors, que cette photo ne vous effraie pas, voyez-la comme une fenêtre sur ce monde merveilleux, fascinant et que nous connaissons si peu: l’océan.

Le plus grand des exploits

Cette photo, en couleur, d’un grand voilier prisonnier de la glace de la mer de Weddell, en Antarctique, date de 1915. Elle est rare car le photographe, Frank Hurley, a surtout rapporté des images en noir et blanc. Elle est exceptionnelle aussi car il n’aurait jamais dû être en capacité de rapporter les images. Il aurait dû mourir sur place. S’il n’y avait eu un homme. Le chef de son expédition. Certains d’entre vous connaissent peut-être l’histoire de l’Endurance et de Sir Ernest Shackleton. Mais elle vaut la peine d’être rappelée, même brièvement. Disons que le quatre-mâts, avec les 29 hommes d’une expédition britannique qui voulaient réussir la traversée du continent Antarctique, s’ est retrouvé pris dans les glaces avant même d’atteindre le continent. Neuf mois plus tard, sa coque est broyée par le pack et le bateau disparaît dans les profondeurs. Depuis des mois déjà, l’équipage avait quitté le bord, campant sur la glace. Encore quelques mois, le temps que le pack se casse et menace d’envoyer les hommes à l’eau, et tous montent dans les trois canots de sauvetage pour essayer de rejoindre la terre ferme, une île des Shetland du Sud, la seule que le courant et le vent leur permettent d’atteindre. Ce sera cinq jours et cinq nuits horribles, entre les glaces flottantes, les vents terribles et la mer glaciale qu’il faut écoper en permanence. Une fois arrivés sur l’île de l’Elephant, où ils trouvent un faible refuge sur une grève entourée de montagnes de glace, six hommes repartent à bord du plus grand canot, de 6,90 mètres, pour un périple de 1500 kilomètres dans la pire mer du monde. Leur idée: rejoindre un port de baleiniers, en Georgie du Sud, et revenir avec des secours car personne, jamais, ne penserait à venir les chercher sur cette île isolée et inhospitalière. 

(photo ci-dessous, de F.Hurley: le départ de l’île de l’Elephant sur le canot de sauvetage ponté avec de la toile… 
Finalement? Un cauchemar. 15 jours de mer. Deux ouragans. Des tempêtes multiples. Le froid glacial. L’eau qu’il faut écoper tout le temps. Presque pas moyen de dormir. Comment résumer une telle navigation en si peu de mots… Mais ils vont arriver en Georgie du Sud. Du mauvais côté de l’île: les trois hommes encore capables de marcher vont alors traverser l’île, avec des cols à plus de 3000 mètres, sans équipement, en 36 heures de marche non-stop… 
Tous les hommes seront sauvés et développeront un véritable culte au chef de l’expédition, Ernerst Shackleton. Sans lui, expliqueront-ils tous, sans son soucis permanent de son équipage, sans son courage et son sang-froid, ils seraient morts sur le pack, n’auraient jamais réussi à rejoindre l’île de l’Elephant, encore moins la Georgie du Sud ou traverser les cols glacés de l’île. Détail: Shackleton était à bord du canot, et un des trois hommes à traverser la Georgie du Sud à pied… Jusqu’au bout, il a tenu son rôle de chef d’expédition. Pour des exploits qui, encore aujourd’hui, stupéfient les marins comme les alpinistes.
Pour les besoins du tome 2 de « Au-delà des limites » (où j’aurai plus de place…), je viens de lire plusieurs livres sur cet homme incroyable. D’où mon envie de vous en parler ici. Car le plus étonnant, un siècle après cet exploit, c’est qu’il est étudié… dans les écoles de management. La façon d’agir de Shackleton étant présentée comme un modèle de gestion de crise. Une leçon de management d’une équipe. Et l’Anglo-Irlandais, mort d’une crise cardiaque en 1922, est entré dans l’histoire de l’exploration polaire comme l’homme qui, dans les pires circonstances, a toujours réussi à rentrer avec tous ses hommes. Car, pour lui, aucun record, aucun titre de gloire, ne valait la vie d’un homme. Cela valait une photo de mer de Nautilus en modeste hommage…
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