Lesseps

Cette photo (dont je n’ai pas trouvé l’auteur) a été prise en novembre 1869, après l’inauguration du canal de Suez. Le choix de la photo, vous l’avez compris, est lié à l’actualité. Mais cela ne suffit pas. Quand j’ai entendu « canal de Suez », j’ai pensé Lesseps. Pas Ferdinand de Lesseps, le père du canal, mais son oncle, Jean-Baptiste Barthélemy de Lesseps. Un homme qui a marqué l’histoire de la navigation française alors qu’il n’était nullement marin, mais diplomate. Un homme grâce à qui on a pu savoir ce qui s’était passé pendant au moins la moitié du tour du monde de Jean-François de Lapérouse.

Un peu d’histoire.

Né en 1766, Lesseps n’a que 19 ans quand il embarque à bord de l’Astrolabe, en 1785. Mais c’est une sorte de surdoué. Il a grandi entre Hambourg, Saint-Petersbourg et la France. A douze ans, il parle couramment le russe, l’allemand, l’espagnol et bien sûr le français. Nommé vice-consul de France à Cronstadt (ville russe sur la Baltique), il est chargé d’apporter d’importantes dépêches à Louis XVI en 1785. A Versailles, il voit le roi, mais aussi Paul Fleuriot de Langle, commandant en second de l’expédition de Lapérouse.  C’est ce dernier qui demande au roi de faire embarquer Lesseps comme interprète franco-russe. Le jeune aristocrate se retrouve dans la plus ambitieuse expédition scientifique française lancée par Louis XVI. Mais allons à l’essentiel : après un demi-tour du monde, la Boussole et l’Astrolabe se retrouvent au Kamtchatka, en Russie, dans le port de  Saint-Pierre & Saint-Paul, devenu Petropavlovsk.

Lapérouse charge alors Lesseps de rapporter à Versailles tous les documents, journaux, cartes, notes, liés à la première partie de l’expédition. Il lui demandait donc d’effectuer, avec un chargement non négligeable en volume et en valeur scientifique, un parcours de 16 000 kilomètres à travers la Russie et l’Europe de la fin du XVIIIe. Bloqué longtemps au Kamtchatka par l’hiver, il lui fallut treize mois de voyage pour atteindre Versailles, le 17 octobre 1788, en utilisant tous les moyens de transport qu’il pouvait trouver. Un voyage qui devint un succès éditorial quand il publia, en 1790, le récit de son voyage sous un titre choc : « Journal historique du voyage de M. de Lesseps, consul de France, employé dans l’expédition de M. le comte de la Pérouse en qualité d’interprète du roi ; depuis l’instant où il a quitté les frégates françaises au port Saint-Pierre et Saint-Paul du Kamtchatka jusqu’à son arrivée en France le 17 octobre 1788 ». Pas sûr qu’un éditeur ne trouverait pas plus court aujourd’hui. Mais le récit est fantastique. Comme les textes et notes envoyés par Lapérouse. 

On connait la suite : avant même que Lesseps arrive à Versailles, la Boussole et l’Astrolabe s’étaient éventrés sur les récifs de Vanikoro. Et aucun survivant n’a jamais pu être retrouvé, ni d’autres notes et documents, scientifiques ou pas. Sans Lesseps, rien n’aurait été sauvé de l’expédition Lapérouse. 

En 1869, donc, son neveu, Ferdinand de Lesseps, entrait aussi dans l’histoire en creusant le canal de Suez. Mais c’est une tout autre histoire.

Pêche en sud Islande

J’ai pris cette photo il y a dix-sept ans maintenant. Et on ne peut plus la prendre, heureusement. Nous étions quelque part entre l’Islande et le Nord de l’Ecosse, en mars. Quelques jours plus tôt, un coup de vent de force 10 nous avait bien secoués. J’étais à bord pour un reportage pour le magazine Géo (également publié dans le Nautilus n°1). Ce chalut qui remonte vient de loin. Presque 2 000 mètres de fond. Il remonte des espèces magnifiques : grenadiers, empereurs, sabres… Une pêche de grands fonds que l’on a finit par stopper pour une raison évidente de préservation de la ressource : personne n’avait d’informations précises sur la reproduction de ces espèces, leurs cycles de vie. Donc les fonds étaient pillés sans aucune certitude qu’ils puissent se repeupler un jour. Ou avant très, très longtemps. 

Mais ce message n’est pas pour parler de la pêche de grands fonds, ni même des dégâts de la pêche industrielle (le bateau faisait 59 mètres, donc loin des critères de la pêche artisanale). J’ai envie de vous parler des hommes. 

Regardez l’image : il fait nuit, la mer est forte, le pont est trempé et glissant, il fait froid, les marins manient un chalut glacé avec la seule protection de leurs gants. Il y a seulement une dizaine ou une quinzaine de minutes, ils dormaient encore. A moitié habillés pour pouvoir réagir vite au signal du capitaine indiquant le retour du chalut. C’est donc à peine réveillés qu’ils sont plongés dans un univers assez hostile. Le temps que le chalut remonte, ils vont rester en alerte pour guider l’ensemble correctement. Puis, le poisson va se déverser dans les cales. Les hommes abandonneront alors le pont pour un autre travail : des heures durant, ils vont trier, nettoyer, ranger les poissons à la main. Tout doit être mis en glace rapidement. Puis ils essaieront d’attraper un peu de repos avant un nouveau signal du patron les appelant sur le pont. 

Un cycle infernal qui va durer dix jours, à raison de parfois dix-huit heures de travail par jour. Puis ce sera le retour à la maison. Avant de recommencer une nouvelle marée, dans dix autres jours. 

Détail qui compte : ces hommes, tous ceux avec lesquels j’ai parlé, aimaient leur métier. OK, c’était dur. Très dur. Mais ils soulignaient tous leur sentiment de liberté. Pour rien au monde ils ne voulaient travailler à l’usine. La mer, l’entraide de l’équipage, cette vie décalée, tout cela leur plaisait. Aujourd’hui, quand je discute avec des pêcheurs artisans, j’entends les mêmes mots : « C’est dur, mais c’est un beau métier. On est libre ». Malgré l’effort, malgré les conditions difficiles, malgré la charge de travail et les horaires impossibles, j’ai eu le sentiment de rencontrer en mer plus de gens heureux que dans de confortables bureaux parisiens…

Les épaves de la NOAA

Ce sont quatre lettres qui me fascinent depuis des années. Quatre lettres chargées d’un potentiel incroyable de rêve : NOAA. Pour National Oceanic and Atmospheric Administration, ou Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique. C’est elle qui, pour l’administration publique américaine, est responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère. Sa mission est « d’informer le public du rôle et du fonctionnement des océans et de l’atmosphère afin de faire des choix éclairés dans leurs interactions avec ceux-ci ». Vous comprenez tout l’intérêt que nous pouvons, à Nautilus, y trouver.Mais il n’y a pas que la mission : il faut aussi voir la façon de l’exécuter. Et la dernière innovation de la NOAA résume leur façon de voir : un mélange de très haut niveau de science, avec une formidable capacité à mettre cela au niveau du grand public. Il s’agit d’un site internet, appelé « Epaves vivantes en 3D » (Living Shipwrecks 3D), qui regroupe les images en trois dimensions d’une série d’épaves sous-marines de la guerre civile américaine à nos jours. Images fournies par différents appareils d’exploration des fonds. Mais il ne s’agit pas seulement de chercher à quoi peuvent ressembler ces navires disparus : en quelques clics, vous pouvez aussi voir comment ces morceaux d’histoire sont devenus des lieux de vie pour différentes espèces de poissons. On comprend alors que du drame naît de l’espoir, que la tragédie, la mort, deviennent, avec le temps, le refuge pour d’autres formes de vie, un autre avenir.
Mais il y a un autre élément important dans ce travail de la NOAA : il est proposé gratuitement à tous. L’éducation est un élément essentiel pour l’institution américaine. Et tout ce qu’elle fait est consultable par le grand public, sans bourse délier. Sa formidable collection de photos ou de documents, sur les océans comme sur les phénomènes atmosphériques, est libre d’accès et même d’usage (tant que ce n’est pas de la revente). Pour tout vous dire, j’y ai passé des heures à regarder les photos de la conquête des océans, des chercheurs du début du XXe siècle comme ceux d’aujourd’hui. Les abonnés de la photo de mer de Nautilus ont souvent pu voir des photos signées des quatre lettres NOAA. L’important, pour l’institution américaine, est que le grand public s’intéresse à ce qui se passe dans l’océan, et comment fonctionnent les recherches météorologiques. Et qu’il améliore ses connaissances grâce, notamment, à la NOAA
Une ambition formidable. 

Le site des Epaves Vivantes: https://sanctuaries.noaa.gov/news/nov20/living-shipwrecks.html
Photo: Tane Casserley / NOAA

Tellement Libre…

Ce livre a une histoire.
Elle commence en 1996, quand je rencontre Frédéric Pie. A l’époque, c’est un entrepreneur de l’Internet (ce truc tout juste naissant) qui dirige une grande agence de création Web, Pictoris. Je répète la date: 1996. L’époque des pionniers, des audacieux. Pendant 24 ans, nous nous croisons de temps en temps. Le plaisir de partager un verre, une discussion. Mais je ne connais pas bien l’homme. Je ne vois que l’entrepreneur.
En 2020, je découvre sur les réseaux sociaux qu’il a décidé de changer de vie. Radicalement. Il vend tout ce qu’il a pour faire tenir son monde dans un sac de voyage. Plus de logement. Plus de voiture. Plus de moto. Le strict minimum en vêtements. Un sac et un ordinateur portable. L’entrepreneur se fait vagabond.

Pour ceux qui pensent que c’est facile de voyager les poches pleines, sachez que ce n’est pas vraiment le cas. Le métier d’entrepreneur est plus risqué et souvent moins rémunérateur que celui de salarié. A 52 ans, Frédéric Pie s’est retrouvé avec le même capital qu’un propriétaire de 40m2 à Paris. Bien, mais rien d’exceptionnel. Mais il avait mieux que de l’argent: un maximum de rêves et un esprit vraiment libre. Une furieuse envie de partir découvrir le monde et les êtres qui le peuplent, de partir à la découverte de lui-même. Et, ce pourquoi nous avons eu un véritable coup de foudre, à Nautilus, en le suivant sur les réseaux sociaux, un vrai talent d’écrivain.
Tout lâcher à 52 ans n’est pas si évident. Accepter de n’avoir plus de domicile. Plus d’adresse. Plus de statut social. D’être totalement libre, et donc dépendant aussi de ceux que l’on va croiser. Une leçon de vie, d’humilité et d’orgueil en même temps. Chapeau.

Le résultat: « Libre. Ecrire sur les chemins du monde ». Le premier livre de Frédéric Pie.

Premier car il ne va pas s’arrêter là. Il ne le doit pas. Nous avons eu tellement de plaisir à éditer ce livre, nous vous assurons que vous aurez du plaisir à le lire. Vous avez aimé Bouvier ou Chatwin? Tesson? Vous aimerez Frédéric Pie.

Vous pouvez le suivre sur son blog (il est actuellement en Afrique) et voir ce que d’autres ont pensé de ces écrits ici: https://fredericpie.fr/vos-mots/

Un avant-goût?

Alors cadeau: un petit livret de 22 pages, avec des extraits de « Libre »…


Et déjà, voici le prologue de « Libre »:

Ce livre est l’histoire d’un homme de cinquante ans qui décida un jour de se réinventer en allant se jeter corps et âme au beau milieu de la vie, dans ce qu’elle a de plus authentique et de plus belle, avec comme seul carburant, sa liberté retrouvée, chèrement reconquise. Pour ce faire, il a pris quelques décisions radicales qui consistèrent à tout lâcher, à renoncer à une vie établie, heureuse, citadine et confortable, pour entreprendre un tour du monde, en solitaire, d’une durée indéterminée.
Ceci est l’histoire d’une métamorphose, d’une libération, d’un renoncement à tout ce qui nous éloigne de nous-même et de ce point d’équilibre entre le bonheur apparent et la paix intérieure. C’est mon histoire, celle d’un homme qui a ressuscité de son vivant…
J’ai éprouvé le besoin, au fur et à mesure que je recevais des messages d’encouragement et de félicitations de dizaines de personnes, proches ou inconnus, qui se multipliaient au fil des mois, souvent si émouvants et terriblement sincères, d’écrire ce livre. Constatant que je vivais le rêve de milliers de personnes, désireuses de reprendre possession de leur vie, de leur trajectoire, de leur temps et de leur liberté, j’ai voulu livrer mon témoignage et expliquer comment un homme d’une cinquantaine d’années décide et rend possible un tel changement de vie. Mais surtout, j’ai souhaité écrire pour tout ceux qui rêvent de partir où que ce soit, de quitter qui que ce soit, de voyager pour se retrouver, et afin d’expliquer comment le voyage au long cours, en tant que mode de vie et pas comme simple parenthèse au milieu d’une vie inchangée, devient une catharsis, une opportunité insensée de vivre autre chose et de découvrir sa propre vérité.
C’est donc autant un témoignage de vie qu’une invitation au voyage que je vous propose de vivre à mes côtés durant les longs mois où je me suis immergé au sein de contrées magnifiques, dans des pays inconnus, des rencontres édifiantes pour finalement parvenir au cœur du monde, là où se trouve notre vivante humanité. Alors, pour ne plus prendre votre courage… à demain, préparez votre sac à dos et n’oubliez pas votre passeport. Nous voilà partis pour un périple empreint de liberté absolue !
On m’a souvent demandé, tout au long de mes pérégrinations d’où m’était venue cette idée de partir faire le tour du monde, me posant, dans la foulée, mille autres questions pour comprendre comment un homme qui a tout, qui vit au cœur de Paris, une ville qui fait rêver des centaines de millions de personnes de part le monde, peut tout abandonner du jour au lendemain. Après la curiosité et le désir de comprendre comment cela était possible, je voyais vite apparaître dans le regard de mes interlocuteurs l’envie ou un soupçon d’admiration. Je ne compte plus les verres qui me furent offerts, les taxis qui furent finalement gratuits, les mots chaleureux d’encouragement ou de félicitation, sans compter les rencontres mémorables dès que je racontais mon passé et mon projet de vie nouvelle. Visiblement l’histoire séduisait et incitait à la conversation.
A force de raconter mon histoire et de répondre aux questions, j’allais chercher toujours plus profondément mes réponses, creusant au delà des faits et des raisons apparentes, je découvrais d’autres causes qui pouvaient expliquer le chemin de vie que j’ai choisi et sa bifurcation subite vers l’ivresse de la liberté.

Alors, comme les choses sont toujours plus complexes qu’elles n’y paraissent et que les raisons véritables proviennent souvent de bien plus profond que les phrases que l’on s’invente pour raconter une version de notre histoire qui nous séduise, je me mis à creuser, à chercher d’autres raisons qui justifieraient un tel revirement de vie. Ce fut passionnant car au fur et à mesure que je m’enfonçais vers l’avenir, en des territoires nouveaux et surprenants, je progressais vers mes racines, remontant le cours des évènements, rembobinant le film de ma vie pour y débusquer toute les raisons qui s’emboiteraient parfaitement pour me mener à devenir un vagabond moderne, un poète à l’âme gitane. Tout était en place depuis longtemps, sans que je le sache ou cherche d’ailleurs à le savoir.
J’ai donc écrit ce recueil comme un journal de voyage littéraire, tissé comme un patchwork coloré de rencontres, de paysages, de pays et de villes, d’étonnements et de faits. On y trouvera au fil des mois et des kilomètres parcourus des réflexions intimes, des poèmes, des chroniques de voyage, des lettres d’amour et d’amitié, des portrait d’hommes et de femmes magnifiques, des souvenirs éclairants les raisons de ce voyage et de ce changement de vie radical. Vous voyagerez à mes côtés et vous assisterez à la libération d’un homme, à l’éclosion et à l’incarnation de son rêve de liberté puis à la mue d’une conscience que le voyage au long cours ne manque pas d’éveiller. J’espère que ces quelques pages constitueront un sésame pour tous ceux qui rêvent de reprendre la maîtrise de leur vie, et pour ceux qui rêvent de liberté et de vastes horizons, qu’elles créeront l’étincelle qui mettra le feu aux poudres… d’escampette !
Mais il faut que je vous prévienne, avant que nous embarquions ensemble pour ce voyage sans billet de retour : nous ne serons pas seuls. Je me suis permis d’inventer toute une bande d’amis, de maître à penser, de géants qui m’ont tant appris, si souvent guidé et soutenu dans les régions froides de l’incertitude, qui furent des phares posés à l’horizon, qui m’éloignèrent des récifs sur lesquels je me serais sans doute échoué durant ce long voyage. Viendront nous rejoindre, au gré des chroniques, au fil des territoires traversés et des choses vécues, René Char, Pablo Neruda, Albert Cohen, Céline, Federico Garcia Llorca, Joë Bousquet, Alvaro Mutis et son complice de toujours, Gabriel Garcia Marquez. Sans oublier Albert Camus, Victor Hugo, les poètes Christian Bobin et Guy Goffette, et bien sûr les écrivains voyageurs Sylvain Tesson et Nicolas Bouvier… La liste n’est pas exhaustive et j’avoue être toujours surpris par ceux qui n’étaient pas invités mais qui me firent l’honneur de donner leur avis sur mes folles élucubrations et de nous offrir leur plume pour quelques pensées souvent fulgurantes et lumineuses.
Alors, en route…!

Banquise…

C’est une terre dont la plus grande partie est de mer. Un continent sans population humaine indigène. Un endroit unique au monde que les humains ont décidé de consacrer à la science et la paix (et accordez-moi que c’est rare…). L’Antarctique. 

Une terre qui fascine tout le monde, y compris nous à Nautilus. D’ailleurs, notre adresse mail se termine par .TF, pour « Terres Françaises Australes et Antartiques ». Pour nous donner l’impression de vivre sur les terres du Sud quand on écrit un simple email… 

Mais il y a une autre raison pour que nous nous intéressions aux terres australes. Avez-vous lu « 20 000 lieues sous les mers » ? Jules Verne y envoie le sous-marin Nautilus, avec le capitaine Némo à la barre, atteindre le pôle Sud en passant sous la banquise. D’accord, c’est impossible. Le pôle se trouve au milieu du continent antarctique et aucun sous-marin ne pourra jamais l’atteindre. Mais qui le savait en 1869, quand Verne écrit son roman ? Personne. 

Bien sûr, on savait depuis 1819 qu’il y avait des grandes terres au sud du 62ème parallèle. Mais de quelle forme ? Quelle taille exactement ? Et une terre ou un chapelet d’îles ? Personne ne pouvait répondre avec certitude. Il faut attendre 1895 pour que les savants du monde entier décident, ensemble, de mieux connaître les régions antarctiques. Une série d’expéditions va s’enchaîner. Le pôle Sud va révéler une partie de ses secrets. Je dis « une partie » car il en reste énormément. Même si cela n’intéresse ni Elon Musk, ni Jeff Bezos. 

Pour revenir à Jules Verne, on pourrait lui reprocher de n’avoir pas corrigé son ouvrage avant sa mort en 1905. A cette date, on se doutait bien que le pôle était au milieu des terres. Mais quelle importance, puisque cela nous aurait privés d’une scène d’anthologie, quand le Nautilus est pris dans les glaces et que l’équipage en scaphandre autonome (qui n’existait pas à l’époque) doit le libérer à grands coups de pics et de jets d’eau bouillante… Car il n’est pas coincé comme un vulgaire trois-mâts barque. Il est coincé comme un sous-marin. C’est-à-dire SOUS la surface de la mer, DANS la glace. L’imagination de Verne, toujours.

Mais il a fini par se dégager et rejoindre la mer libre. Je ne vous dévoile rien, vous l’aviez déjà compris puisque c’est Nautilus qui vous envoie ce message…

Photo StormPetrel1

Marins abandonnés

La pointe Saint-Mathieu, au bout de la Bretagne. Plus à l’ouest du phare, du sémaphore, de la chapelle et de ce qu’il reste de l’abbaye, il y a Molène et Ouessant. Puis New York. Le rayon de soleil fait le pont entre les Terriens et les Îliens. 

Mais je voulais aussi vous raconter une histoire, découverte il y a peu alors qu’elle dure depuis longtemps. C’est celle des marins du pétrolier MT Iba, sous pavillon panaméen,  échoué au large de la côte d’Umm Al Quwain, aux Émirats Arabes Unis. Le propriétaire, une société elmirati, a fait faillite depuis un moment et le bateau attend un nouveau propriétaire. Qui n’arrive pas. Banale situation d’entreprise, me direz-vous? Pas tout à fait. Les cinq marins du bord, de trois nationalités différentes (indienne, pakistanaise et birmane) n’ont pas été payés depuis 43 mois. Un drame pour eux, mais aussi pour leurs familles: « Je ne peux pas envoyer d’argent à ma famille, mes enfants ne peuvent pas étudier, ils ne peuvent pas manger, ils doivent emprunter de l’argent » explique l’un d’entre eux dans un article de Ouest-France. Et ils sont bloqués à bord du bateau qui, doucement mais sûrement, commence à ressembler à une épave. Depuis des mois, leur nourriture est fournie par la gentillesse des habitants de Umm Al Quwain et à des missions humanitaires qui leur font passer de quoi survivre. Mais aussi de l’eau ou quelques produits indispensables. 

Ils peuvent débarquer, me direz-vous. Rentrer chez eux. Pas vraiment. S’ils le font, s’ils quittent le bord, les lois maritimes internationales interdisant à l’équipage d’abandonner un navire échoué qui transporte une cargaison à risque, comme le pétrole,  ils risquent la prison et de perdre tout droit sur les plus de 230 000 dollars d’arriérés de salaires… L’ingénieur en chef, birman, a un problème de plus: son passeport a expiré depuis qu’il a embarqué et il craint d’avoir du mal à le renouveler avec la crise politique qui secoue actuellement son pays.

Ces cinq hommes me font penser à la situation d’une partie des équipages pirates, au débit du XVIIIe siècle. Ils étaient souvent, à l’origine, des marins de navires parfaitement légaux, que des pirates avaient pris d’assaut. Leur choix alors été posé dans ces termes: soit ils rejoignaient la piraterie, soit… ils étaient tués ou abandonnés en pleine mer. Un choix limité. Une fois devenus pirates, ils savaient que leur sort était aussi réglé: s’ils étaient fait prisonniers par une marine officielle, c’était la pendaison. Leur choix était entre la mort violente tout de suite ou la mort violente plus tard. L’époque n’était pas à la douceur de vivre en mer… 

Depuis, la vie en mer s’est améliorée. Mais, de temps à autre, la violence du monde remonte à la surface, comme pour les marins abandonnés du MB Iba, qui ne sont pas prêts de croiser devant la Pointe Saint-Mathieu.

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